24 juillet 2019

Koen VAN LANDEGHEM, para natation : “Je suis un facilitateur de la performance”

Avec Koen VAN LANDEGHEM, il faut prendre son temps mais ne pas le perdre. Rencontre …

Présentez-vous ?

J’ai rejoint l’équipe de Sami EL GUEDDARI, le Directeur sportif para natation de la FF Handisport il y a maintenant 18 mois. Cela s’est fait un peu par hasard ; j’étais à l’époque le référent para natation dans les Hauts de France, je lui ai téléphoné pour avoir un renseignement et il m’a proposé de venir travailler à ses côtés. J’ai tout de suite accepté.
Avant d’officier en France, j’ai notamment été le directeur sportif de l’équipe belge de para natation (de 2000 à 2012).

Pourquoi avoir accepté cette mission ?

Je suis convaincu que la réussite naît de l’humain et je crois au projet de la para natation française et aux hommes et femmes qui se cachent derrière. Il y a des ambitions solides et des enjeux qui me parlent alors je ne peux que m’engager. En plus, j’ai un peu la gagne donc je veux que les nageurs que j’accompagne soient les meilleurs. La France connait un renouveau aujourd’hui et il y a une vraie stratégie autour des jeunes ; c’est un challenge très motivant ! Par ailleurs, ayant travaillé en APA, j’ai une vision multidisciplinaire, ce qui je pense a plu à Sami… Nous avons réussi à former une équipe complémentaire et je me retrouve complètement dans le projet qu’il m’a présenté.

Parlez-nous de la pratique en France ?

En France aujourd’hui, nous avons d’excellents entraîneurs et d’excellents nageurs ; la difficulté majeure demeurant encore et toujours l’appréhension du handicap. On ne peut pas encore inclure comme il se doit certains jeunes dans des clubs valides or paradoxalement, je suis convaincu qu’il y a des jeunes que nous n’avons pas identifiés qui évoluent en milieu valide. Nous avons de nombreux viviers « historiques » de pratiquants comme les centres, les IME mais ce vivier s’appauvrit et les jeunes pratiquent en autonomie, bien souvent parce que les parents ont insisté pour que leurs enfants soient pris en charge dans des clubs.
C’est là-aussi très paradoxal puisque les clubs nous répètent souvent qu’ils ne sont pas formés pour accueillir des jeunes en situation de handicap ; qu’ils ne savent pas faire.
Je suis donc convaincu que nous avons intérêt à collaborer étroitement avec la Fédération Française de Natation pour accompagner les personnes en situation de handicap : il faut faire de la sensibilisation sur les regroupements valides, de la formation auprès des entraîneurs car des pratiquants en situation de handicap, il y en a plus que ce que l’on croit !
Donc la pratique ne manque pas mais il faut mieux l’encadrer, mieux former et savoir ou aller chercher les pratiquants.

Vous avez œuvré à l’étranger, quelles sont les différences majeures de pratique ?

Je le répète très souvent aux jeunes car pour moi il y a une différence majeure avec les pays anglo-saxons par exemple : les athlètes passent leur vie dans l’eau, ils y évoluent des heures et des heures. Il n’y a pas de secret pour performer dans cette discipline, il faut être dans l’élément. C’est une acculturation qu’il faut encore travailler en France. Faire de l’eau son terrain de jeu, y passer plus de temps encore… et cela n’a rien à voir avec le handicap, il s’agit simplement d’avoir une approche différente. Bien souvent en France sur les compétitions régionales, il n’y a pas de bassin d’échauffement donc les jeunes n’ont pas le loisir de continuer à évoluer dans l’eau hors de la compétition et c’est un problème.
De même, j’ai beaucoup vu à l’étranger des athlètes pratiquer un sport d’hiver et un sport d’été, tout simplement pour pratiquer toute l’année, pour avoir un rythme et faire travailler des choses différentes, acquérir une certaine complémentarité. J’ai d’ailleurs proposé il y a quelques temps aux basketteurs, une fois leur saison finie, de venir nager dans mon club ; ils n’y avaient même pas pensé et pourtant cela a été un succès : des rencontres, des techniques différentes, une approche autre dans un élément tel que l’eau… je n’y vois que des avantages !

Avez-vous changé votre travail en France ?

Je n’ai pas changé mon travail, j’ai adapté ma méthode. Ce qui est essentiel est de s’adapter en permanence et savoir se remettre en question. Rien n’est jamais abouti et surtout dans notre sport. Il n’y a pas de matériel à régler, l’outil unique est le corps et celui-ci est en perpétuelle évolution, surtout chez les jeunes ; Ils grandissent, prennent de la force ; ajouté à cela le facteur handicap … tout cela fait qu’en para natation, rien n’est jamais abouti. Je suis un curieux de nature et pour moi rien n’est gravé dans le marbre ; il faut tester, tenter des choses et recommencer encore…
J’aime aussi particulièrement monter des temps d’entraînements avec des entraîneurs et athlètes issus d’autres nations car c’est d’une richesse infinie ; les approches et visions sont différentes et on se nourrit tous les uns les autres.

Koen VAN LANDEGHEM en connexion avec Solène SACHE lors des EPYG 2019

Quelle est votre approche ? Avez-vous des méthodes particulières ?

Moi, je suis un facilitateur de la performance. Ce ne sont pas mes nageurs, ce sont des nageurs affiliés à une structure, qui travaillent avec un entraîneur. Ils appartiennent d’abord à eux-mêmes, ensuite à un collectif (c’est un sport individuel bien sûr mais nous travaillons par le prisme du collectif). Par exemple je crois très fort en la force du relai : il faut nager pour soi mais aussi pour les 3 autres nageurs qui le composent ; les nageurs se transcendent sur cette épreuve et se dépassent pour le collectif.
Je pense qu’il faut être « multi- casquettes » ; un jour je suis entraîneur (j’accompagne les nageurs dans la préparation quotidienne), et un jour je suis coach (je suis au côté des nageurs sur une compétition en relai de leurs entraîneurs du quotidien) … c’est une nuance qui n’en est pas une d’ailleurs pour moi car ce sont deux rôles très différents et il faut savoir s’adapter.
Je n’ai pas de secret particulier mais dans mon approche mais par exemple je veille particulièrement aux aspects physiologiques. Je m’intéresse à certaines données comme l’acide lactique ; je me réfère d’ailleurs bien souvent aux recherches menées par Jan Olbrecht, médecin chercheur en biomécanique et physiologie, qui a concentré son travail sur les données de la réussite en natation et qui a mis en place une méthode unique de test de lactate pour évaluer le conditionnement des athlètes. L’émission des valeurs lactiques est très différente en fonction du type de handicap et c’est une piste de travail qui me semble incontournable de creuser aujourd’hui sur le très haut niveau.
Par ailleurs, je crois à l’accompagnement mental et à l’imagerie ; j’ai d’ailleurs suivi une formation de relaxologue pour favoriser notamment les gestes compliqués à réaliser…
Pour vous donner un exemple concret, j’ai demandé à un nageur que je suis qui n’avait pas de main gauche d’imaginer une main qui s’engagerait dans l’eau. Je lui ai demandé de travailler chez lui avec un miroir, d’imaginer qu’il ouvre et ferme la main. Il a été très surpris au départ, n’était pas convaincu et avec la pratique il a finalement découvert encore un peu plus son corps et sa mécanique.

Plus généralement, mon expérience auprès des équipes belges m’a permis d’acquérir quelques notions autour de ces thématiques car en Belgique, la problématique autour de l’accompagnement mental est centrale. À terme, j’ai été capable de dire en voyant un nageur sortir de la chambre d’appel s’il allait performer ou pas. Rien qu’en analysant sa posture, sa façon de se comporter, sa communication non verbale, je savais s’il se sentait bien ou non.
Aujourd’hui encore, j’aime arriver très tôt au bord des bassins, non pas pour commencer les entraînements mais juste pour m’asseoir et regarder ; observer tout simplement. C’est dingue comme on décèle facilement des indicateurs de motivation, de stress, d’incertitude, de confiance.
J’apporte donc une attention particulière à ce qui va faire la différence, aux détails, aux moments stratégiques d’une course comme par exemple le départ.

Enfin je suis très attaché à garder une « limite relationnelle » : les athlètes n’ont pas à tout savoir de moi et je n’ai pas à tout savoir d’eux. Dans la relation qui lie un entraîneur à un sportif, c’est une donnée qui me semble essentielle de respecter pour faire un travail de qualité et instaurer de la confiance et du respect.

Koen VAN LANDEGHEM avec Kyllian PORTAL lors des EPYG 2019

Comment abordez-vous la donnée « handicap » dans votre accompagnement ?

Le prisme du handicap n’est jamais une approche pour moi. Ma première question quand je prends en charge un jeune c’est : « qu’est-ce qu’il / elle peut faire ? » et après, on voit éventuellement ce qu’il / elle ne peut plus faire.
Je discute de cela très souvent avec des médecins rééducateurs qui bien souvent me disent sur telle ou telle pathologie « ça va être compliqué » … le corps médical est parfois trop protecteur et devient presque un frein à la pratique. On enferme les personnes en situation de handicap, on les met dans un fauteuil pour ne jamais les y enlever alors que celles-ci veulent être actives.
Fort de ce constat-là, je m’axe sur les points forts de la personne que j’accompagne ; sur les possibles et je prends en compte les points faibles dans un second temps.

L’orientation des jeunes, un enjeu ?

La politique menée par la FF Handisport me parle beaucoup. Il y a une grande communication inter-sports ce qui fait que si l’on « perd » un jeune en para natation, on ne le laisse pas dans la nature et on travaille pour lui proposer autre chose, une pratique qui lui convient davantage.
Il est impensable aujourd’hui de laisser un jeune sans pratique car il a essayé la natation ou l’athlétisme et que cela ne lui convient pas. Il faut tout mettre en place pour lui trouver une discipline autre qui lui conviendra et c’est désormais monnaie-courante dans notre mouvement. Les équipes des commissions sportives de la FF Handisport travaillent main dans la main pour favoriser l’épanouissement des sportifs qui se cherchent encore, et ce dans quelle discipline que ce soit.

Comment travaillez-vous avec la nouvelle génération de nageurs ?

Il y a des jeunes qui arrivent et c’est une réelle opportunité pour nous de faire émerger de futurs talents en coopération avec les structures locales. Lorsque j’accompagne des jeunes, il y a quelque chose que je me refuse à faire : être scolaire.
Le maitre-mot pour moi est l’apprentissage et je veux qu’ils découvrent par eux-mêmes.
Ils arrivent avec leurs rêves et illusions, je ne veux pas les leur gâcher mais ils doivent réaliser par eux-mêmes la réalité de la pratique, les concessions et l’engagement que cela demande.
Seule l’expérience fait foi et mon travail est de les accompagner tout en les laissant se tromper et en se responsabilisant. Je n’interdis rien aux jeunes, ils sont responsables de leurs choix et quand ils échouent, la plupart du temps ils savent d’eux-mêmes qu’ils se sont trompés : je pense notamment à des choses simples comme éteindre le téléphone le soir, ne pas traîner sur les réseaux sociaux mais tout bêtement se coucher tôt pour être en forme dans le bassin le lendemain…
Avec l’expérience je me suis aussi rendu compte que vouloir former les jeunes trop vite, vouloir les faire monter trop haut trop rapidement n’est pas bon. Le haut niveau se mérite et cela prend du temps pour y arriver. L’une de mes devises est « prendre son temps mais ne pas le perdre » ; c’est un peu ce que j’essaie d’inculquer aux jeunes.

Ils rêvent à quoi ces jeunes ?

Ils aspirent à de très belles choses, ils voient grand !
L’année dernière j’ai demandé à un jeune que je suis « Dans un monde idéal, il n’y a ni contrainte de temps, ni d’argent, tu peux réaliser ton rêve… que veux-tu ? » il m’a répondu sans hésiter une seconde : « je veux participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024 ».
Et je sais que ceux qui le veulent vraiment travaillent pour y arriver.

Crédit photos : CPSF